Passer du « présentiel » à « en ligne » en un mois: irréaliste !

Depuis le 19 mars 2020, les écoles sont fermées en République Démocratique du Congo pour éviter la propagation du covid-19. Le Lycée Liziba dans lequel je travaille n’a pas été en reste.

Après six semaines de fermeture, nous avons été obligés de nous réinventer pour assurer la continuité pédagogique à nos élèves.  Et nous nous sommes retrouvés, comme le dit si bien  Divina Frau-Meigs, au front de la continuité pédagogique sans masques et sans blouses, sans les gestes barrières numériques et les respirateurs pédagogiques indispensables.

Mais quand il faut y aller, il faut y aller !  J’aimerai donc partager avec vous les défis rencontrés lors de notre migration vers le numérique et comment nous sommes en train de les surmonter.

Nous avons dû faire face à 3 défis majeurs :

1.       Le défi technologique

2.       Le défi organisationnel

3.       Le défi  humain

A.      Le défi technologique

Je vais vous étonner mais le défi technologique a été le plus facile à résoudre. En effet, nous avons eu de la chance. Depuis trois ans, nous avions commencé timidement une transformation digitale. 

L’année 1 : nous avons octroyé des prêts  au personnel enseignant pour se procurer des ordinateurs. Le remboursement s’est fait graduellement.

Une autre action a été de créer le site web de l’école.

L’année 2 : nous avons commencé à utiliser le système de gestion scolaire Eteyelo pour le suivi du paiement de minerval et le calcul des points des élèves.

Plusieurs formations ont été organisées à l'intention du personnel de l'école, spécialement en bureautique et sur le logiciel Eteyelo.  A partir de ce moment-là, les prévisions annuelles des cours devaient être saisies à l’ordinateur par les enseignants.

L’année 3 : un petit réseau  informatique a été installé et quelques ordinateurs  ont été connectés à Internet. Pas tous, contrainte budgétaire oblige!  Des formations ont été données pour la recherche sur Internet.  Et tout à coup est arrivé le Covid-19… Et nous devions migrer en ligne !

Nous avons eu quand même un coup de chance : Klasroom, solution proposée par Eteyelo avec qui nous travaillions déjà, a vu le jour.

Aperçu de Klassroom

Je vais faire un disclaimer : Eteyelo ne m’offre rien pour cette publicité que je vais lui faire (je devrai y penser…).

Comme Eteyelo et Liziba se connaissaient déjà, la prise en main a été assez facile. Le service Client d’Eteyelo est incroyable et ils ont une grande capacité d’écoute.  En tout cas, ils sont là quand ils doivent être là. Nos relations ont des hauts et des bas comme cela arrive parfois entre bons amis.

La difficulté à laquelle nous allions faire face ensemble  était assez imposante. Passer à étudier en ligne, quand un mois avant, il n'y avait qu’une heure d’informatique par semaine par classe, plusieurs profs n’avaient pas d’adresses email, et  plusieurs familles d'élèves ne possédaient pas d'ordinateurs chez eux.  

Face à ce panorama, je comprends bien ce sms reçu d’un parent : « Bonsoir madame, je trouve cette option irréaliste et inappropriée pour le contexte actuel  ... Prière de repenser la stratégie !  »

 A ce moment là, un autre coup de chance (je devrai dire de grâce) a été qu’à Liziba comme chez Eteyelo, il y a beaucoup de jeunesse d’esprit. Nous allions au moins essayer et si ça ne marchait pas, nous apprendrions de nos erreurs.

Klasroom a été un très bon choix technologique car il est adapté à notre contexte,  la plateforme est simple et on peut y avoir accès via un smartphone. Nous aurions choisi Moodle, Google Classroom ou une toute autre solution plus complète et donc plus complexe,  le résultat escompté n’aurait pas été au rendez-vous. Klasroom avait un autre avantage, elle était gratuite. Détail non négligeable pour une école qui était à son sixième mois de fonctionnement.

B.      Le défi organisationnel

Le second défi était beaucoup plus difficile que le premier. Plusieurs questions flottaient dans l'air: Comment vont se dérouler les cours ? Comment les profs vont-ils se connecter ? Comment va être l’horaire ? Un cours après un autre ? Pendant combien d’heures ? Tous les enfants seront-ils connectés ? etc. etc. etc.

Nous avons su résoudre ce problème grâce à notre collaboration avec le Complexe Scolaire Bozindo. Ce dernier avait ,depuis le début du mois d’avril dernier, commencé des cours à distance en utilisant whatsapp. Ils avaient essayé plusieurs stratégies, ils avaient revu l’horaire, ils avaient organisé les profs d’une manière et puis d’une autre. Et après, ils nous ont transmis leurs meilleures expériences. Une mine d’or (Merci Bozindo !)

Cela nous a aidés à prendre les grandes décisions organisationnelles :

-          Un seul cours se donnerait par jour de 9h00 à 13h00.  Les enseignants allaient donc répartir leur matière en conséquence.  Un horaire spécial allait être mis en place.

-          Whatsapp servirait d’outil majeur pour la communication avec les parents et l’interaction entre profs et élèves.

-         La plateforme ne serait pas utilisée pour les parents de la maternelle. Des fichiers en pdf avec des exercices leur seraient envoyés.

-          Les discussions entre profs et élèves se feraient via whatsapp à partir de 11h00. (Klassroom vient d’incorporer la possibilité de chat cette semaine).

-          La titulaire de la classe se chargerait  de la gestion disciplinaire et pédagogique de sa classe (groupe whatsapp). Et oui, même en ligne, il est possible de chahuter !

-          Les parents chargés de classe qui sont les représentants des parents d’une classe joueraient le rôle de courroie de transmission entre l’école et les familles. Ces parents administrent aussi le groupe whtasapp de la classe et garde un contact étroit avec l’école. Nous avons du codifier le nom des groupes whatsapp pour nous retrouver.

-          La communication interne serait la priorité numéro un dans tout ce projet de transformation.

Avec toutes ces décisions prises, nous avons décidé le début des cours pour le 4 mai 2020. La semaine antérieure serait celle des tests de la plateforme, de la communication.  Nous avons émis un petit guide à l’attention des parents et nous avons dû organiser une réunion spéciale à l’école  avec les enseignants (dans le plus grand respect de l'éloignement physique) et nous avons attendu sur le pied de guerre le premier jour de la rentrée… “virtuelle”.

 

Vue de l'horaire sur une semaine

C.      Le défi du capital humain

Une bonne amie pour me taquiner, m’a dit que je parlais de ces cours en ligne comme si nous avions marché sur la lune. C’est juste des cours en ligne, ma chère ! Elle a raison, ce n’est pas la même chose !  C’est seulement...presque la même chose…  La pesanteur humaine est beaucoup plus grande que la pesanteur terrestre. Et surtout, il a fallu se lancer  en quelques semaines à un projet qui exige normalement davantage de planification et de réflexion.

Le grand défi, le plus important était que toute la communauté scolaire (parents, enseignants et élèves)  accepte le changement et se donne les moyens de trouver des solutions aux multiples problèmes (électricité, outils, temps, internet, ignorance, etc.)

Se décider à faire quelque chose pour finir l’année scolaire … surtout qu'il ne nous restait que 8 semaines de cours !

Et la réponse dans son ensemble a été extraordinaire :

  • Les parents se sont organisés pour mettre à disposition des téléphones portables à leurs enfants (parfois le leur). Le fait d’avoir les cours 24 heures sur 24 sur la plateforme permet que certains s’organisent et prennent les leçons en fin de journée.

Des élèves de Liziba à la maison en train de suivre les cours. 

  • Les enseignants ont changé leurs routines et travaillent plus la nuit car c’est le moment où il y a de l’électricité. Une certaine solidarité s’est aussi mise en place dans le corps professoral  pour s’entraider à saisir les notes ou pour expliquer comment accéder à la plateforme. Des enseignants et même des parents ont conçu des mini-tutoriel pour les autres.
  • Les élèves sont enchantées et la nouveauté permet qu'elles soient motivées à 1000%. La présidente de l'école a même envoyé une note vocale avec son mot matinal pour continuer avec la coutume. Cependant toutes sont unanimes: elles aimeraient revoir leurs copines de classe.

Je suis consciente que c’est un privilège de travailler dans un contexte éducatif où les collaboratrices, les parents, les enseignants sont capables de relever le défi de passer en ligne du jour au lendemain. Il sera difficile de copier ce modèle partout.  Mais certaines écoles, avec un peu d’effort et de volonté, pourraient y arriver. Je suis disposée à partager l’expérience.

 Tout n’est pas encore parfait. Nous nous questionnons encore sur un bon système d’évaluation de la participation des élèves, l’équité dans la correction des travaux, la confidentialité des données, la protection des filles qui passent du temps sur Internet, etc. La réflexion ne fait que commencer. Et tout avis serait le bienvenu.  Mais le principal objectif pour nous est de ne pas rater l’année scolaire et de bien former les élèves.

J’aimerai juste clore cet article avec les chiffres de participation aux cours la première semaine. Aux humanités : 143 sur 147 et au primaire 94 sur 152. Ces chiffres dépassent largement nos espérances. Toutes les familles des élèves absentes ont été contactées. Deux raisons ont été émises :

-           le manque d’information : ils n’avaient pas reçu le communiqué du début des cours.

-          le manque de disponibilité des parents  qui travaillent et qui ne pouvaient pas s’occuper des leçons. Ils sont à la recherche de solutions pour que leurs enfants étudient.

Seules 2 familles (4 enfants) ont parlé du manque de matériel (smartphones) pour se connecter. Et nous réfléchissons sur la meilleure manière d'aider.

Avec tous ces millions d’enfants sans cours, que signifient ces 299 filles en train de les avoir? Presque rien… Mais chacun à son niveau doit faire ce qu’il peut!

Comme disait Mme Raissa Malu dans un des ces derniers articles,  nous allons résoudre ce grand problème un enfant à la fois… et pour ce coup, ce sont 299, c’est déjà pas mal !

Il serait injuste de finir cette article sans remercier tous ces héros du quotidien qui rendent cette transformation digitale possible: les profs, les parents et les élèves! C'est encore une preuve que ce n'est qu'ENSEMBLE (bomoko) que l'impossible se produit. MATONDO!

Je serai très reconnaissante de recevoir vos avis ! A très bientôt!


6 Commentaires

  1. Formidable article dont j’ai littéralement savouré le contenu. Vous avez su captiver mon attention et surtout vous avez offert des pistes de solutions aux organisations scolaires qui pourront surement, je dirais même, qui devront absolument suivre votre exemple. Ceux qui suivront votre exemple pourront surmonter beaucoup plus facilement les obstacles puisque vous leur avez offert le parfait canevas de la réussite. Bravo !

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    1. Merci beaucoup Douglas! Merci pour cet encouragement! Cela me touche énormément!

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  2. Excellent article et très captivant ! Plein de courage, force et réussite dans ce que vous faites !

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  3. Félicitations LIZIBA... Nous remercions vos grandes intelligences mises au service de nos enfants..

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  4. Cette expérience est à partager au maximun. il ne faut pas attendre que tout le pays soit connecté pour lancé la formation en ligne dans notre programme éducatif. il est plus qu'urgent de commencer quelque part. BRAVO LIZIBA. déjà mes enfants vont rejoindre BOZINDO, c'est décidé.

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